Pauvre, pauvre petit Tuomas.
Si il ne méritait en aucun cas de mourir, lui s'est attendu toute sa vie à ce moment. Depuis sa plus tendre enfance, il savait qu'il était condamné. Quand on diagnostique une maladie grave à un enfant de quatre ans, il est rare qu'il se mette à méditer sur le sens de la vie et sur son avenir. Mais Tuomas est différent. Il est intelligent, très intelligent. Il pensait à ces choses de son vivant, mais savait également les ignorer et profiter de ce que la vie lui offrait. Il aimait la vie, il l'aime toujours, mais n'a peut être jamais vraiment su comment en profiter. Les petites choses simples sont celles qu'il préfère ; pas besoin de lui offrir un feu d'artifice pour lui faire plaisir. Quelques mots gentils d'une personne aimée suffisent à faire de lui le plus heureux des hommes.
Même s'il comprit très tôt que sa vie serait de courte durée, il n'en a jamais été réellement atteint mentalement... du moins c'était ce que son entourage croyait.
Car Tuomas est un as pour cacher ses émotions les plus profondes. Quelles qu'elles soient. Il les fais disparaître derrière ce visage calme et serein, dont le front est parfois barré par un pli de réflexion. Il réfléchit souvent, sur tout. Il s'inquiète, s'angoisse, panique facilement ; principalement parce qu'il a tendance à plus s'inquiéter pour les autres que pour lui même.
Ensuite, les gens ont en général deux réactions face à lui : soit ils l'ignorent, ce qui est plutôt simple vu comme il peut se faire silencieux et discret ; soit ils le prennent en pitié. Il y a de quoi. C'est vrai qu'il fait un peu de peine, le Tuomas, avec son apparence assortie à son caractère : faible, discrète et las.

C'est un jeune homme dans une drôle de situation. Le fait d'être mort le perturbe assez, et il ne sait pas ce qu'il doit penser de cette... nouvelle vie sur l'île. Il la maudit d'avoir effacé sa précédente, ne lui en laissant aucun souvenir. Il ne sait pas si il doit chérir cette existence, ou la remettre en question. Il réfléchit encore trop, sans doute.
Il voudrait juste se souvenir de ce qu'était sa maison et y retourner.

Tuomas a vécu et est mort avec ce même goût amer de sa vie.

Il vit le jour en Finlande, dans loin des villes, proches des grandes forêts et des fjord. Et cela lui allait parfaitement. La tranquillité et ce a quoi il a toujours aspiré ; les grandes villes, tout ce bruit et cette pollution, ça l'a toujours dégoutté. Mais dans ce petit coin de paradis, où certes il faisait parfois terriblement froid, il était heureux. Seulement le souffle du vent sur les lacs et l'odeur des forêts. Ses parents n'étaient ni riches, ni pauvres, c'était des gens simples et aimants. Mais il se sentait seul, le petit Tuomas, loin de la civilisation, fils unique et personne avec qui jouer.
Il vit son sauveur en la personne du jeune Viktor. Il avait trois ans et Viktor cinq lorsqu'il se retrouvèrent à partager la même toit.
Après la mort tragique de ses parents, Viktor fut placé en famille d’accueil chez les Hendrick, car leurs deux familles étaient proches depuis longtemps. D'abord hostile et renfermé, le petit s'ouvrit sans hésiter à son nouveau petit frère Tuomas, en qui il ne voyait qu'un gamin seul et un nouvel ami. Ça colla tout de suite entre eux, et en une année, ils furent aussi inséparables que s'ils étaient nés frères jumeaux. Viktor était un imbécile heureux, et Tuomas réfléchissait tellement qu'il s'en rendait malheureux, mais ils se complétaient à merveille.

Tuomas aurait très bien pu avoir une vie tout ce qu'il y a de plus belle, si on ne lui avait pas détecté de graves problèmes de santé à ses cinq ans. Après avoir fait, à l'école, un malaise qui avait faillit lui coûté la vie, il endura plusieurs années d'opérations, de médicaments, de promesses de rétablissement jamais tenues. Dès les premiers mois, cela balaya ses espoirs et ses rêves de futur. Si il n'avait pas eu Viktor pour le soutenir, il aurait défaillit bien plus tôt.
On lui expliqua plusieurs fois que son cœur, car c'était l'organe touché, ne tiendrait pas plus d'une dizaine d'années. On lui diagnostiqua un décès vers quinze ans, mais les médecins voyant qu'il tenait bon, et après avoir refait des analyse, on lui dit qu'il n'en avait plus que pour cinq ans. Puis dix ans. Puis vingt ans. A vingt-cinq ans, il était plutôt en forme, malgré de fréquentes crises graves et une fatigue extrême constante. Son cœur était toujours malade, mais étonnamment il tenait plutôt bien le coup. On s'étonna de cette chance incroyable, mais Tuomas savait que ce n'était pas du qu'à la chance : sans la bonne humeur et les encouragements de Viktor, et sans cet espoir qui ne les quittait jamais tous les deux, le jeune homme aurait trépassé une dizaine d'années plus tôt. Et inversement, d'ailleurs, parce que Viktor était un tel casse-cou que sans la prudence de son petit frère, il serait tombé d'une falaise ou se serait prit une voiture une bonne quinzaine de fois dans sa vie.
Tuomas put continuer paisiblement sa vie durant quelques années, et poursuivre les études de médecine qui l’intéressait tant. Il n'avait pas hésité une seconde à choisir cette voie, car il aider et sauver des gens était la seule chose chose qu'il se voyait faire de sa vie. Il rencontra aussi l'amour en cours de route, une première pour lui qui avait passé beaucoup trop de temps à se soucier de sa santé. Il n'eut malheureusement pas le temps d'expérimenter plus en profondeur ce sentiment nouveau et si léger.

Si la maladie qu'on lui avait diagnostiqué au cœur restait stable, personne ne vit venir ces problèmes cérébraux. Un garçon aussi futé et vif d'esprit que Tuomas, personne n'aurait cru une seconde maladie grave se cachait sous ces neurones, et elle apparut aussi subitement qu'elle faucha cette vie fragile.
Il ne fallut que quelques semaines pour que le jeune homme soit forcé de retourner à l’hôpital, et d'y rester alité, cette fois. Les tumeurs de son cerveau se propagèrent à une vitesse injuste, et il fut vite gravement handicapé mentalement, incapable de tenir debout et même de parler. Le seul amour qu'il avait eu de sa vie le laissa rapidement sur le banc de touche. Condamné à terminer ses jours à trente ans dans un lit d’hôpital, la seule chose a laquelle il se raccrochait était la présence constante de son frère à son chevet.
« Ramène moi à la maison. » Ce furent ses derniers mots, à peine audibles, mais les années passées à se comprendre par de simples expressions du visage suffirent à son frère pour qu'il lui réponde. « On va rentrer Tuomas, c'est promis. »